L'apparition d'Hector
Ce passage est, évidemment, bien connu et capital dans l'Enéide. Le schéma de ce « songe » est un peu différent du schéma homérique[1] : les deux vers qui introduisent ce passage ne font qu'indiquer un moment, celui où les dieux, dans leur bienfaisance, distillent pour les mortels un premier repos. Cette introduction de Virgile semble en parfaite contradiction avec ce que vivent les personnages du poème : le sommeil qui aurait dû être réparateur est en fait le déclencheur de la destruction de Troie. En effet, les habitants, au lieu de s'endormir, auraient dû veiller pour éviter la surprise. Ce "don des dieux" causera la perte des Troyens.
Les paroles d'Enée sont étranges : il semblerait qu'il s'exprime comme s'il ignorait le sort d'Hector, croyant que celui-ci, après une longue absence, revenait à Troie dans un état épouvantable. Or Enée ne peut ignorer la mort d'Hector. En outre, aux vers 272 et 273, il fait nettement allusion à la conduite honteuse d'Achille, tirant le corps d'Hector derrière son char. Hector ne répond pas aux questions d'Enée qui lui paraissent sans doute vaines. Le temps presse. Hector en vient donc à la révélation de son message qui est clair : Enée doit quitter sa fonction de guerrier pour s'investir dans une mission religieuse identifiée à son propre destin. On a assez donné pour Troie (Sat patriae Priamoque datum II,291) , Enée doit maintenant trouver des murs pour les Pénates troyennes (Sacra ...commendat Troia Penatis II,293). C'est désormais son destin et il doit l'accepter (hos cape fatorum comites II,294). En outre, il est fils
de déesse ( nate dea II,289), ce qui, comme le remarque à juste titre Jean Bouquet, le prédispose à cette mission
Ces deux premiers songes font donc apparaître deux ombres et leurs révélations aboutiront, à plus ou moins long terme, à la fondation de Carthage et de Rome. Nous ne partageons pas entièrement l'avis de J. Bouquet quand il dit que ces deux premiers songes dressent Carthage et Rome l'une face à l'autre, mais plutôt l'une pour l'autre. En effet, au moment où Vénus conte le songe de Didon à Enée, la fondation de Carthage est déjà bien avancée alors qu'on est encore très loin de celle de Rome.
[1] BOUQUET, J.,"Le songe dans l'épopée latine d'Ennius à Claudien", Latomus, vol .260

incipit, et dono diuom gratissima serpit.
In somnis, ecce, ante oculos maestissimus Hector
uisus adesse mihi, largosque effundere fletus,
raptatus bigis, ut quondam, aterque cruento
puluere, perque pedes traiectus lora tumentis.
Ei mihi, qualis erat, quantum mutatus ab illo
Hectore, qui redit exuuias indutus Achilli,
uel Danaum Phrygios iaculatus puppibus ignis,
squalentem barbam et concretos sanguine crinis
uolneraque illa gerens, quae circum plurima muros
accepit patrios. Ultro flens ipse uidebar
Compellare uirum et maestas expromere uoces:
'O lux Dardaniae, spes O fidissima Teucrum,
quae tantae tenuere morae? Quibus Hector ab oris
exspectate uenis? Ut te post multa tuorum
funera, post uarios hominumque urbisque labores
defessi aspicimus! Quae causa indigna serenos
foedauit uoltus? Aut cur haec uolnera cerno?'
Ille nihil, nec me quaerentem uana moratur,
sed grauiter gemitus imo de pectore ducens,
'Heu fuge, nate dea, teque his, ait, eripe flammis.
Hostis habet muros; ruit alto a culmine Troia.
Sat patriae Priamoque datum: si Pergama dextra
defendi possent, etiam hac defensa fuissent.
Sacra suosque tibi commendat Troia penatis:
hos cape fatorum comites, his moenia quaere
magna, pererrato statues quae denique ponto.'
Sic ait, et manibus uittas Vestamque potentem
aeternumque adytis effert penetralibus ignem.

- Étude de tableau : le rêve d'Énée de Félix Auvray
- Questionnement sur le passage :
- s'agit-il d'un phénomène irréel ou matériel ?
- Pourquoi Virgile choisit-il Hector comme messager ?
- De quoi Hector est-il le symbole ?
- Pourquoi la réponse d'Énée est-elle curieuse ?
- Pourquoi Hector ne répond-il pas aux questions d'Énée ?
- Acquisition du lexique et de champs lexicaux autour de :
- quies
- sanguis
- uolnus